Pour les sondages, effet Trump ou problème Trump ?
Depuis son apparition sur la scène politique américaine, Trump est un défi pour les sondeurs. D’élection en élection, ils sous-estiment son score. Ceci malgré des changements, annoncés, dans les méthodes. Comme l’utilisation de plus de médias différents pour contacter des sondés, ou l’utilisation du niveau de diplôme comme variable de redressement.
En 2024, les sondages se sont encore trompés, d’environ 3 points. Les sondeurs nous expliquent que les résultats réels se situent dans l’intervalle de confiance « à 95% » qu’ils donnent à chaque fois. La différence se situe dans la marge d'erreur, environ +/- 3 ou 4 points, mais elle est significative, car il y a une sous-estimation constante de 3 points dans les sept Swing States.
Un effet Trump
Le fait que l’ « erreur de mesure » (expression abusive, car la différence entre les résultats d’un vote et ceux d’un sondage fait quelques jours avant ne peut être qualifiée d’erreur) soit toujours du même côté de l’intervalle de confiance fait fortement penser à un biais systématique : un « effet Trump ».
En 2024, l’« effet Trump » peut se mesurer à sa performance supérieure à celle de la plupart des candidats républicains au Sénat. Au total, Trump a surperformé le candidat républicain au Sénat de 2,6 points en moyenne. Et plus précisément, dans les cinq États clés où se déroulaient également des élections sénatoriales, Trump a surperformé le candidat au Sénat de 3,5 points en moyenne, les républicains perdant au Sénat 4 des 5 États qu’il a gagnés.
Ce qui s’explique largement par la surmobilisation par Trump de citoyens loin de la politique. Trump mobilise un public qui ne déplace que pour les élections présidentielles, voire qui ne participent qu’à l’élection présidentielle même lorsque d’autres élections plus locales ont lieu en même temps. Il y a donc bien un « effet Trump ».
Un problème Trump
2/3 des inscrits ont voté pour la présidentielle de 2024, contre un peu moins de 50% aux Mid-Term de 2022, ce qui sont les taux de participation habituels pour ces deux types d’élections. Et remarquons que les sondages d'opinion n'ont pas sous-estimé les républicains lors des élections de Mid-Term de 2018 et 2022, élections « locales » pour lesquelles Trump n'était pas sur le bulletin.
L’électorat des Mid-Term-terme reste traditionnellement plus stable, sociologiquement plus intégré. Bref, plus facile à prévoir. Alors que les électeurs occasionnels des présidentielles sont difficiles à appréhender, dans un pays aux règles électorales si décentralisées, où l’accès aux urnes est très inégalement facile.
Comme les sondeurs utilisent souvent les taux de participation passés pour construire le corps électoral futur, ces électeurs intermittents perturbent la modélisation du corps électoral futur. C’est un défi crucial que les sondages d’opinion classiques ne connaissent pas : déterminer qui, parmi les personnes interrogées, votera réellement. Cela ressemble au problème des électeurs indécis. Les personnes qui hésitent à voter, et pour quel candidat, peuvent dire une chose aux sondeurs, puis faire autre chose.
Les électeurs intermittents développent aussi une méfiance envers les sondages et les médias. Parce qu’ils peuvent ressentir une pression sociale pour dire leur préférence. Particulièrement dans les états clés, perclus de sondages préélectoraux. Ils ont alors tendance à raccrocher au nez des sondeurs.
Un autre biais mal appréhendé : ce que certains chercheurs appellent le biais de désirabilité sociale, selon lequel les gens sont réticents à partager des choses dont ils ont honte. Et soutenir le président Donald Trump peut relever de ce biais. Prédire qui votera est essentiel, et c’est le défi essentiel auquel sont confrontés les sondeurs américains.
En France, nous n’avons pas (encore ?) ce problème. Parce que nous n’avons pas de force électorale intermittente, venant périodiquement (aux présidentielles) perturber la mécanique sondagière. Tant que ceux qui s’excluent du jeu électoral restent toujours hors de ce jeu, la mécanique fonctionne.
Mais on peut quand même se demander ce qui est le plus sain : une explosion sociale de type « gilets jaunes », que « personne n’avait vu venir » (i.e. que les sondages ne décelaient pas) ou un phénomène électoral qui maintient visible, parce que peu ou prou dans le jeu électoral, les marges de la société ?
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